5ème partie
Pas de télé pour Fernand

Tout comme
Brigitte Bardot, Jean Gabin ou Louis
de Funès, Fernandel n'a jamais eu d'affection particulière pour la télévision.
Pourtant, en février 1955,
c'est-à-dire deux mois avant
le tournage de La Grande
Bagarre de Don Camillo, Fernandel s'apprête à partir
pour New York afin d'y
faire ses débuts... à la télé.
Outre-Atlantique, c'est
moins grâce à ses films qu'à
un livre de photos que l'on
connaît le comique : on y
voit Fernandel se livrer à
une étonnante succession
d'expressions, chacune
répondant de façon muette
à une question. Ce sont ces
expressions qu'il va rééditer pour le bonheur des
téléspectateurs américains.
Pourtant, il boude obstinément la télévision française. « Et pour une raison
majeure, ne cesse-t-il d'expliquer.
C'est que la télévision ne fait
aucun effort pour payer les
acteurs. Chaque fois que j'y suis
passé, je l'ai fait gratuitement car,
avec mon nom, je ne peux pas
accepter ce qu'on offre. Je sais
bien que c'est la télévision d'Etat,
mais quand on paie ses impôts, on
ne dit pas : "Faites-moi un prix!" »
D'autant qu'ayant bataillé sur
les scènes de music-hall et les
écrans de cinéma du début du
parlant pour s'imposer, il se méfie
des pièges de ce petit écran qui, à
ses yeux, ressemble fort à un
miroir aux alouettes pour apprentis comédiens. "La télévision vous
lance, dit-il à ceux-ci lorsqu'ils
viennent quêter un conseil auprès de lui, mais elle peut vous tuer
d'un jour à l'autre, car il n'y a rien
de plus terrible que d'entrer chez
les gens sans autorisation. » Et de
continuer : « Pour les acteurs, la
télévision a quelque chose de dangereux. Il n'est pas question que,
moi, je fasse des feuilletons de
douze minutes, mais je pense aux
jeunes. Si j'avais été Don Camillo
au début de ma carrière, ce curé
de choc, ce curé de chair, de sang,
qui est moi en soutane, je serais
resté Don Camillo toute ma vie.
Voyez Thierry la Fronde... Raymond Souplex a tourné "Meurtres"
avec moi : à l'époque, il faisait du
cinéma. Depuis Les Cinq Dernières
Minutes, les producteurs n'en veulent plus, ils prétendent : "On va
dire : mais c'est Bourrel !" Et le
petit Philippe Nicaud, c'est la
même chose. Avant, il faisait du
cinéma, depuis L'Inspecteur Leclerc,
hé bé, c'est fini... »
D'ailleurs, il est agacé par la
prétention des « vedettes » du
petit écran, par leur façon de
gérer une popularité qu'ils n'ont
pas la lucidité de deviner éphémère. « Moi-même, dit-il, depuis
ma réussite, j'ai toujours eu une
certaine modestie... Alors, ceux
qui se prennent pour de grands
acteurs parce qu'ils passent à la
télévision, ça me fait rire. Cette
popularité-là n'amène personne
au théâtre ou au cinéma. Le
public les voit à la maison, mais ne
se dérange pas. »
Tout de même, malgré
cette sévérité, Fernandel
n'en est pas moins un téléspectateur assidu depuis
1952. En fait, il ne peut se
passer de la télévision.
« Que ferions-nous sans
elle? », dit-il parfois à sa
femme, Henriette, en s'attablant dans sa salle à
manger de l'avenue Foch
pour regarder le journal
de 20 heures.
La télé est tout à la fois
dangereuse et formidable,
commente-t-il. Dangereuse,
parce qu'elle retient les
gens chez eux et que, du
même coup, ils vont moins
au cinéma et au théâtre.
Mais formidable, parce
qu'elle est un spectacle
facile. Moi-même, quand je
ne tourne pas, je me dis le
matin : qu'est-ce qu'il y a à
la télé ce soir? Et puis, en
ce qui me concerne, elle
me garantit l'incognito.
Dès que je sors, je suis
reconnu, je dois signer des autographes... Or, j'adore le football,
la boxe, le catch : grâce à la télévision, je peux voir de beaux
matches en toute tranquillité.»
Si bien que Fernandel, durant
toute sa carrière, ne fit guère de
télévision : quelques émissions
aux États-Unis avec Bob Hope,
des films publicitaires en Italie et
en Grande-Bretagne, et une série
de films franco-italiens de vingt-six minutes. En France, outre des
interviews, l'ORTF n'obtint son
concours que pour un "Bon numéro"
avec Pierre Bellemare, un "Palmarès des chansons" avec Guy Lux et
un "Gala de l'Union des artistes"
où, Monsieur Loyal de l'année
1970, il évoluait en dresseur de
chevaux.
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